Carrefour : merci Patron !

Catégorie :

Un an après « Le Marché Interdit », Carrefour récidive par une nouvelle campagne « Act for food » : affichant un partenariat étroit avec la société civile, le groupe ambitionne de devenir « le leader mondial de la transition alimentaire pour tous ». Il laisse notamment entendre qu’il est capable de faire changer la loi qui défavorise la biodiversité cultivée, comme l’évoque d’ailleurs le titre de sa campagne. Devant cette récupération à bon compte du combat mené par l’ensemble du Réseau Semences Paysannes depuis 15 ans, le citoyen doit-il se réjouir de comprendre que les lois injustes ne pourraient changer que dans l’intérêt et sous la dictée des multinationales ?

Derrière les beaux discours, il convient de rappeler que la loi en question ne concerne pas les semences paysannes mais la mise sur le marché d’une nouvelle catégorie de semences nommée « matériel hétérogène » (dans le cadre du nouveau règlement bio européen). Sans transparence sur les méthodes industrielles d’obtention variétale et sans interdiction nette de tout brevet sur les plantes, il est bien difficile de savoir aujourd’hui le type de semences qui seront commercialisées comme « matériel hétérogène biologique » à partir de 2021.

De plus, il est erroné de laisser entendre au travers d’une campagne de communication que les semences paysannes seraient désormais autorisées à la culture et à la vente pour les agriculteurs bio : premièrement, semer des semences paysannes et vendre les produits de sa récolte n’a jamais été interdit. Simplement, la quasi totalité de ces produits est distribuée à l’échelle territoriale en circuit court ou en vente directe hors des radars de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. Deuxièmement, le nouveau règlement bio européen (la fameuse loi) ne permet pas en l’état du texte la commercialisation de semences paysannes biologiques par les paysans qui les ont produites dans le cadre de leur production agricole.

Les semences paysannes ont vocation à être cultivées et reproduites plusieurs années de suite dans les fermes et les jardins où elles coévoluent. Au gré des migrations et des échanges, c’est l’acte de ressemer qui a permis de différencier les espèces nourricières en millions de variétés adaptées à chaque territoire. La mise sur le marché d’un quelconque « matériel » fusse-t-il biologique ne garantit en rien que les paysans bio le ressèmeront. Dès lors, la « libération des semences » annoncée par Carrefour ressemble plutôt à une étape de plus dans la libéralisation du marché des semences industrielles.

C’est un euphémisme que de dire que nous sommes en désaccord profond avec l’ensemble de cette campagne, notamment avec son idéologie sous-jacente (1) : les problèmes liés au capitalisme (sociaux, environnementaux...) pourraient être résolus par les mécanismes de marché à travers un acte d’achat « responsable », en préservant l’infrastructure industrielle existante. Pour nous, le problème est justement cette infrastructure industrielle. Pendant ce temps, Carrefour continue sa fuite en avant capitaliste (digitalisation et développement de l’omnicanal en partenariat avec Google, licenciements de masse et augmentation de la rémunération du capital...)

Les semences paysannes et les collectifs qui les font vivre forment un commun non soluble dans le marché. Sur le terrain, des solutions s'inventent chaque jour pour lutter contre la dépossession des savoir-faire : les semences s'échangent aussi gratuitement dans des réseaux de partage de savoir faire et de connaissances ce qui permet d'adapter au fil des ans les variétés paysannes aux particularités de chaque ferme. Une vision aux antipodes de la réponse strictement marchande de Carrefour.

Comme nous l’avions fait il y a un an, nous tenons à rappeler publiquement que nous n’avons noué aucun partenariat avec Carrefour et nous l’enjoignons à retirer toute référence au Réseau Semences Paysannes.

Contacts

  • Jean-François Berthellot, paysan boulanger - 05 53 88 11 84
  • Frédéric Latour, animateur mise en réseau/communication - 06 45 52 12 98

 

(1) « Avec votre fourchette et votre couteau, vous avez quasiment les pleins pouvoirs », clip de présentation d’Act for food