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Quand les semences biologiques deviennent du matériel…

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A partir de 2021, les dispositions du nouveau règlement européen bio (dont dépend le label AB), en particulier celles permettant la commercialisation de matériel de reproduction de « matériel hétérogène biologique » pourraient élargir l’offre à des semences moins standardisées, plus hétérogènes. Une bonne nouvelle pour les semences paysannes et la bio ? L'avenir nous le dira mais en l'état ce nouveau texte ouvre surtout la porte aux OGM en n'interdisant pas explicitement les nouvelles biotechnologies.

Le nouveau règlement bio qui entrera en vigueur en 2021 propose deux dispositions relatives aux semences qui restent à concrétiser (précisions attendues dans les actes délégués). La première permet la commercialisation de « matériel hétérogène biologique » selon une procédure dérogatoire à la réglementation générale sur la commercialisation des semences. L’objectif affiché est d’autoriser la commercialisation de semences de variétés plus hétérogènes. La seconde est l’apparition du concept de « variété biologique adaptée à l’agriculture biologique », présentant « une grande diversité génétique et phénotypique ». Une expérimentation doit être menée, afin de créer, à terme, une nouvelle catégorie au Catalogue officiel pour ces variétés, avec des critères d'homogénéité et de stabilité plus souples.


Commercialisation des semences

La règle générale est que seules les semences appartenant à une variété inscrites au Catalogue officiel des variétés peuvent être commercialisées « en vue d’une exploitation agricole ». Seules les variétés distinctes, homogènes et stables (DHS) peuvent être inscrites au Catalogue. (pour en savoir plus, voir notre kit réglementaire, Fiche n°2 « Commercialisation des semences et plants »)


Par ces dispositions, le nouveau règlement bio pourrait en l'état élargir l’offre commerciale à des semences de variétés plus hétérogènes à partir de 2021. En supprimant les essais préalables à l’enregistrement et la certification du « matériel hétérogène », il pourrait faciliter la diffusion par un plus grand nombre de petits opérateurs. Mais, en n’excluant pas les nouveaux OGM, il peut aussi ouvrir leur ouvrir largement la porte s’ils ne sont pas réglementés comme tels*. La mise en œuvre de ce nouveau règlement est dépendante de l’adoption par la Commission Européenne d’actes délégués qui renforceront ou amoindriront ces opportunités et ces risques.

Ce nouveau règlement ne supprime pas non plus les autres barrières à la diffusion des semences paysannes : obligation d’enregistrement comme semencier, maintenance à l’identique du « matériel hétérogène » déclaré et déposé (ce qui est contraire à la nature même des semences paysannes qui co-évoluent et s'adaptent générations après générations à un terroir et des pratiques), description des parents utilisés (comment décrire une population parentale ?), auto-contrôles sous contrôle officiel et agrément d’un plan de maîtrise des risques sanitaires selon des normes adaptées à la production semencière industrielle. S’il permet la commercialisation de nouveaux types de semences par des semenciers industriels pouvant appliquer ces obligations, il ne permet a priori toujours pas la commercialisation de semences paysannes par les paysans qui les ont produites dans le cadre de leur production agricole. De même, les normes industrielles de production de semences, notamment sanitaires, restent applicables ce qui à terme peut exclure les semenciers artisanaux bio dont les modes de production ne sont ni industrialisés ni industrialisables..

marché pour sauver la biodiversitéCrédits :RiniArtDans le contexte général de l’extension du brevetage à tout le vivant, cette ouverture pourrait ne profiter au final qu’aux industriels désireux de s'affranchir des critères du catalogue : n’ayant plus besoin de la stabilité des caractères phénotypiques pour garantir leur propriété industrielle avec un certificat d’obtention végétale (qu’ils remplacent par des brevets couvrant quelques traits génétiques), ils peuvent trouver là un nouveau débouché pour les plantes et les variétés qu’ils n’arrivent pas à stabiliser suffisamment rapidement après les manipulations génétiques in vitro .

De manière plus large, le terme même de « matériel hétérogène » et sa définition purement technique ne sont pas adaptés aux semences paysannes. En effet, ces dernières ne sont pas des « ressources génétiques » destinées à produire un quelconque « matériel », mais sont l’expression, à un instant et en un lieu donnés, d’une co-évolution permanente entre plantes, hommes et terroir, d’une gestion collective, décentralisée dans les fermes et les jardins, et sont étroitement liées à des savoir-faire et des relations socio-territoriales particulières. L’ouverture au « matériel hétérogène » ne remet donc pas en question le modèle semencier dominant : au contraire, il permet l'extension du marché dans un domaine qui lui était auparavant exclu.

 

 * EDIT suite à l'arrêt du 25 juillet 2018 :

Certes, l’arrêt de la CJUE du 25 juillet 2018, qui affirme explicitement que les organismes issus des nouvelles techniques de mutagénèse développées après 2001 doivent être considérés comme des OGM réglementés (et de ce fait exclus en agriculture biologique) rend la menace moins prégnante. Cependant, il convient de rester vigilant, la possibilité d’une modification de la directive OGM n’étant pas totalement à exclure. De plus, les industriels commencent déjà à adopter des stratégies de défense, arguant que les techniques qu’ils utilisent relèvent de techniques de mutagénèse « classiques », relevant de l’exception de la directive OGM ou qu’elles ne sont pas concernées par l’arrêt car elles n’utilisent pas la mutagénèse dirigée.