L'aventure Cycling Seeds continue

Écrit par Eléonore Mahée
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Eléonore de Cycling Seeds, après 5 mois à pédaler sur les routes d’Italie, d’Albanie, de Grèce, de Turquie et de Géorgie, souhaitait vous partager quelques apprentissages sur les différents modes de gestion des semences paysannes dans ces pays. Le type d’acteurs engagés dans la préservation des semences paysannes, le niveau de coordination (réseaux local, national, international) et les actions mises en place varient selon les pays.

 Préambule

Je précise que ma vision est loin d’être exhaustive, que je ne suis pas une experte des semences, et que je ne vais pas revenir sur l’ensemble des projets rencontrés. Il est donc possible que certain.e.s souhaitent contredire certaines analyses ou conclusions. Si c’est le cas n’hésitez pas à partager vos avis, cela n’en sera que plus riche !

Je vous invite à découvrir mon blog et mes articles (Articles Italy, Articles Albania, Articles Greece, Articles Turkey, Articles Georgia.)

Dans les traductions de mes articles anglais, j’utilise soit le terme de « semences paysannes » soit le terme de « semences traditionnelles » car le terme utilisé en anglais avec mes interlocuteurs pour désigner ces semences était la plupart du temps « traditional seeds ». Ce terme de « semences traditionnelles » est utilisé par opposition aux « semences industrielles », produites par l’industrie de la semence.

J’ai pu me rendre compte que le concept de « semences paysannes » est assez large.

Tous mes interlocuteurs souhaitent contribuer à la préservation de la biodiversité cultivée et construire un système agricole et alimentaire durable et qui s’adapte au dérèglement climatique que nous vivons déjà, et demandent une souveraineté alimentaire. La plupart considèrent qu’il faut aussi bien conserver les semences « anciennes » (avec un rendement intéressant si possible, adaptées au climat local et résistantes aux maladies et nuisibles) que créer de nouvelles variétés (pas d’OGM ou d’hybrides bien sûr!)

Point législation et type d’agriculture

Les pays traversés suivent la réglementation UE soit parce qu’ils sont membres de l’UE soit parce qu’ils ont « copié » la réglementation UE dans leur réglementation nationale.

Tous les acteurs rencontrés poussent aux niveaux européen et nationaux pour une législation spécifique pour les systèmes semenciers paysans.

Dans les pays traversés, la majorité des produits que l’on trouve sur le marché restent issus de semences industrielles. Cependant dans les territoires vraiment ruraux et montagnards, quand les paysan.ne.s sont en dehors des circuits de distribution « classiques » et réglementés ou éloignés des marchés des semences industrielles (ex : fermes dans les montagnes du Nord de l’Albanie). J’ai effectivement pu rencontrer en Albanie, Turquie et Géorgie, plus de « paysan.ne.s » utilisant des semences paysannes, avec des fermes diversifiées de petite taille, transformant directement pour subvenir à une grande partie de leur alimentation et pour commercialiser le surplus.

 Diversité des acteurs et actrices rencontrés

J’ai pu découvrir voire rencontrer une diversité d’acteurs impliqués dans la préservation des semences paysannes (production, sélection, conservation dans des banques de semences)  - liste non exhaustive :

  • Italie : un réseau national (Rete Semi Rurali), des associations locales voire thématiques (Consorzio della Quarantina, Seed Vicious, AIAB Molise), des chercheurs (Pietro Santamaria de l’Université de Bari), des fermes individuelles, des municipalités (ex: Ostuni avec BioSolequo Coop)
  • Albanie : pas de réseau national mais une initiative de préservation de semences dans le nord de l’Albanie lancée par l’ONG Cospe Albania, menée par des agronomes de l’école d’agriculture de Bushat et soutenue par l’AICS Tirana-Italian Agency for Cooperation and Development : création d’une bibliothèque de semences et d’un réseau d’agriculteurs bio qui les cultivent.
  • Grèce : des réseaux « nationaux » : Peliti (présent également dans d’autres pays), Sito Seeds, Aegilops (artisan semencier commercialisant auprès d’agriculteurs bio), des associations locales (ex : Sporites Rodopi dans la région de Komotini), des fermes individuelles.
  • Turquie : pas de réseau national (a priori), des associations locales (EKODER, Biovacik), des fermes individuelles (Jade Farm), des municipalités (Nilüfer, Izmir, ...)
  • Géorgie : une ONG nationale (Elkana) qui produit et conserve des semences de céréales et légumineuses et les partage via son réseau d’agriculteurs qui eux mêmes produisent, des fermes individuelles

En conclusion, dans les pays traversés, il n’existe pas toujours de réseau national, ce sont souvent des initiatives d’organisations locales voire d’individus plus ou moins coordonnées.Je n’ai identifié que peu d’artisans semenciers commercialisant des semences paysannes dans ces pays. Les autres organisations que j’ai rencontrées distribuent gratuitement (modulo les frais d’envoi si envoi postal) ou échangent des semences. C’est souvent la passion pour les semences d’un ou plusieurs individus qui est à l’origine de la création de banques de semences paysannes.

En revanche, même si il n’existe pas de réseau national, les organisations locales sont souvent en contact avec des organisations internationales (Via Campesina, Let’s Liberate Diversity, Nyéléni, No Patent on Seeds, Balkan Seed Network) ou des organisations d’autres pays.

Dans tous les cas, un grand nombre d’acteurs (fermiers particuliers, réseaux, chercheurs, municipalités, artisans semenciers, distributeurs, citoyens, médias…) sont nécessaires pour préserver les semences paysannes et ce partout dans le monde ! J’ai trouvé intéressant de constater l’implication de municipalités et de chercheurs, je reviendrai sur ces points ensuite.

 Banques de semences traditionnelles

Par ailleurs, il existe toujours au moins une banque nationale de semences (national Gene Bank) mais elles ne conservent pas forcément un grand nombre de variétés paysannes, et ne suffisent donc pas : les banques, bibliothèques ou maisons locales de semences paysannes (Community / Local Seed Banks) sont indispensables. Elles sont plus ou moins nombreuses selon les pays et ne couvrent donc pas forcément le territoire national.

Banques de semencesBanques de semences locales - Eléonore Mahée

Les réseaux nationaux de préservation de semences paysannes, voire des acteurs plus locaux, travaillent en direct avec ces banques nationales, notamment pour identifier des variétés ou en conserver. Il leur est souvent bien plus difficile de travailler en direct avec les Ministères d’agriculture même si ces derniers sont au courant et peuvent soutenir les initiatives.

Implication des collectivités

Comme les gouvernements et ministères ne soutiennent souvent pas encore suffisamment, des collectivités peuvent également être actrices en supportant financièrement (salaires, équipements et/ou infrastructures pour produire, sélectionner, conserver les semences, …) ou par de la communication et de l’organisation d’évènements grand public.

Par exemple, en Turquie, la municipalité de Nilüfer (région de Bursa) a développé sa propre politique agricole et alimentaire et a une approche plutôt holistique du sujet.

Concernant les semences paysannes :

  • ils ont mis à disposition un terrain à Ürünlu de 0,5 ha pour cultiver plus de 150 variétés de légumes, céréales et légumineuses et produire les semences associées
  • ils y ont construit une bibliothèque de semences qui conserve aujourd’hui plus de 700 variétés
  • Ils reçoivent et sensibilisent étudiants et citoyens sur le jardin
  • Ils organisent des distributions gratuites de semences lors d'un festival annuel
  • Ils sont mêmes une des 12 municipalités du projet européen  FUSILLI pour la transformation vers des systèmes alimentaires urbains

C’est l’association EKODER, dont le Président Arca Atay est conseiller agricole auprès de la municipalité, qui accompagne sur ces sujets.

Il existe aujourd’hui un réseau d’une petite quinzaine de municipalités turques (Izmir, Istanbul, Cannakale, Edirne, ...) qui suivent leur modèle en produisant, conservant et distribuant des variétés paysannes.

NiluferJardin d'Urunlu: Eléonore Mahée

En Italie, la municipalité d’Ostuni a mis à disposition de Bio Solequo Coop, deux surfaces agricoles pour cultiver et produire des semences paysannes, dont une, au cœur de la ville, qui permet de sensibiliser scolaires et citoyens.

Bio Solequo CoopEléonore Mahée et Bio Solequo Coop

Implication du monde de la recherche

Le monde de la recherche peut également être un acteur.

Par exemple, Pietro Santamaria de l’Université de Bari (Pouilles) a mené le BiodiverSO Project. Il a collaboré avec de nombreux paysans pour réaliser un almanach (en italien) de toutes les variétés locales de légumes de Pouilles : 240 variétés locales et traditionnelles ont été identifiées et préservées. Ils ont également réalisé le livre Biopatriarchi di Puglia qui met en avant une quarantaine de paysan.ne.s ou structures contribuant à conserver des variétés traditionnelles sur le territoire.

AlmanacoBiopatriarchi

Créer des liens avec la recherche m’a paru intéressant pour étudier, identifier, comptabiliser, conserver les semences traditionnelles, tout en faisant bien mention de tous les paysan.ne.s sans qui cette conservation n’aurait pas lieu . Les chercheurs peuvent ensuite être un des relais pour convaincre les gouvernements de faire évoluer les lois.

Stratégies de collecte, distribution, conservation et inventaire

Les stratégies de collecte / distribution / conservation varient. Certains ne font que distribuer (gratuitement) aux agriculteurs et aux particuliers lors d’évènements ou par envoi postal, d’autres échangent, d’autres encore demandent aux agriculteurs de renvoyer une partie de la récolte issue des semences distribuées pour les conserver dans leurs banques (ex : 1kg de semences céréalières donné par l’ONG géorgienne Elkana à l’agriculteur, 1,5kg de la récolte suivante renvoyée à l’ONG).

Les niveaux de contrôle des semences renvoyées m’ont semblé plus ou moins stricts. Dans la majorité des cas, en cas de doute sur une variété, elle est d’abord cultivée avant d’être redistribuée.

Tous s’accordent pour dire qu’il est indispensable de cultiver les semences traditionnelles « au champ ».

Créer des catalogues pour répertorier les semences peut également être intéressant. Certains des catalogues sont même disponibles sur internet comme l’almanach des variétés de légumes des Pouilles, le catalogue du réseau grec Sito Seeds, ou celui du réseau géorgien d'Elkana.

Conseils des acteurs et actrices rencontrés pour préserver les semences paysannes

Tous les acteurs rencontrés m’ont partagé des conseils complémentaires pour que la préservation des semences paysannes et de la biodiversité cultivée s’accélère  :

  • Ne conserver qu’une petite partie des semences paysannes aux banques de semences et faire cultiver la majorité des semences par des fermes (« au champ »).
  • Sensibiliser et accompagner les paysan.ne.s  et les citoyen.ne.s / consommateurs:
      • Selon eux, les agriculteurs sont souvent ignorants de la richesse de variétés anciennes présentes sur leur territoire et de leur importance (ex : mémoire génétique pour résister au changement climatique). Ils montrent souvent un fort intérêt mais les semences paysannes ont souvent un rendement inférieur à celui des semences industrielles, ce qui est un frein pour beaucoup d’agriculteurs pour les cultiver et ce dans tous les pays traversés. En Turquie, il est intéressant de constater qu’un grand nombre d’agriculteurs utilisent des variétés industrielles « certifiées » pour en commercialiser les produits qui en sont issus mais utilisent des variétés paysannes pour leur auto-consommation !
      • Organiser des évènements conviviaux (rappel de l'importance de la biodiversité, dégustation pour convaincre par le goût, distribution gratuite de semences, …) lors de Seed Festival ou sur les marchés et foires, dans les écoles, dans les restaurants d’entreprises, faire échanger consommateurs et agriculteurs, et en parler dans les médias.
      • L’intérêt des citoyens est grandissant pour différentes raisons : liberté et autosuffisance (surtout depuis le COVID et avec les crises économiques), santé, goût, ...
      • Produire du contenu facilement accessible (vidéo, écrits, posts sur des groupes Facebook comme Sito Seeds ou Peliti le font) et organiser des évènements physiques ou en ligne pour sensibiliser et rendre autonome pour cultiver et conserver des semences paysannes.
  • Distribuer gratuitement ou échanger des semences paysannes aux paysan.ne.s et particuliers, même sur de petits évènements (tout compte!). Ces semences étant précieuses, il est pertinent de ne distribuer qu’un nombre limité de variétés par personne et au maximum seulement à celles et ceux qui les cultiveront vraiment car le but est d’atteindre un maximum de personnes et de produire et conserver un maximum de semences.
  • Mieux valoriser économiquement les produits issus de semences paysannes:
    • Il est important de produire des variétés au goût apprécié des consommateurs et au rendement suffisamment intéressant pour les paysan.ne.s (voire de créer de nouvelles variétés).
    • Créer des labels qualité peut aider à leur commercialisation, comme m’expliquait le Consorzio della Quarantina pour 2 de ces variétés de pommes de terre paysannes.

    • Les acteurs de la distribution et de la transformation alimentaire ont également leur rôle à jouer en intégrant des produits issus de semences paysannes dans leur catalogue produits ou dans leurs recettes (ex : la municipalité de Nilüfer avec sa coopérative NILKOOP et ses points de vente, les Nilüfer Bostan, ou avec ses marchés de « petits producteurs » où ils n’ont pas à payer de taxes)

    • Les citoyens peuvent soutenir les agriculteurs via des groupes de Community Supported Agriculture - CSA (ex : en France les AMAP, en Turquie celui de SAKÜDA dont la Jade Farm fait partie)
    • Toutes les variétés paysannes n’ont bien sûr pas forcément pour but d’être commercialisées car elles seraient trop nombreuses sur les marchés, la plupart des paysan.ne.s produisent une partie des variétés seulement pour les conserver d’années en années.
  • Travailler en réseaux, au niveau local, national, voire avec des organisations d’autres pays ou internationales (ex : via Let’s Liberate Diversity, projet européen FUSILLI…). Ainsi l’existence d’un réseau national qui coordonne est souvent une force, même si elle doit laisser de la liberté aux acteurs locaux.

Pour aller plus loin

Dans ce tableau vous trouverez les acteurs identifiés voire rencontrés qui contribuent à la préservation des semences paysannes dans chaque pays traversés ou au niveau international.

 Si vous voulez découvrir la liste des semences paysannes récoltées et échangées sur ma route, n’hésitez pas à regarder dans ce tableau.

Echanges de semencesEchanges de semences : Eléonore Mahée

Si vous voulez découvrir ce que j’ai pu apprendre lors de chaque rencontre alors n’hésitez à lire mes articles sur mon blog Cycling Seeds : Articles Italy, Articles Albania, Articles Greece, Articles Turkey, Articles Georgia. Certains articles sont encore en cours de traduction française.

J’ai intégré tout au long de l’article des liens vers certains articles.

Preneuse de vos avis !

Si vous souhaitez que j’écrive un nouvel article dans la prochaine newsletter RSP avec un zoom sur une comparaison entre les pays visités sur un thème en particulier, n’hésitez pas à me contacter sur la page Contact de mon blog où vous pourrez aussi laisser des commentaires ou me partager des suggestions ou questions.

Merci et à bientôt, Eléonore de Cycling Seeds

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