Le Pays Basque accueille un voyage d’étude européen

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Le programme Erasmus + Aprentisem, coordonné par le Réseau Semences Paysannes permet d’organiser des voyages d’études entre acteur.ice.s des semences paysannes de l’Italie, l’Espagne et la France. Le dernier voyage a été organisé dans le sud-ouest de la France, au Pays-Basque Nord et dans les Hautes-Pyrénées.

Article Initialement rédigé par B.L.E. pour le bulletin régional Biodiversité Cultivée d'Agrobio Perigord

Gestion collective et valorisation au centre des échanges

Pour ce dernier voyage, l’objectif était d’axer les visites autour de collectifs qui transforment les récoltes issues de semences paysannes afin d’approfondir d’une part ce qu’implique la valorisation des semences paysannes et, d’autre part, le travail en collectif.
Le premier jour, après un temps d’interconnaissance les participants ont échangé sur les questionnements et problématiques qu’ils rencontrent autour de ces deux thématiques. Ces questionnements ont été repris lors de chaque visite (Arto Gorria, Sagartzea, témoignage de Christophe Bidart et l’Odyssée d’Engrain).

Gestion collective

  • Comment pérenniser les activités menées autour des semences paysannes ?
  • Comment fonctionnent la circulation et les échanges de semences au sein du collectif et avec l’extérieur ?
  • Quels liens entre les membres du collectif et les professionnels (exemple lien avec les meuniers ou les boulangers) ?
  • Comment questionner le modèle agricole en collectif ?
  • Les semences paysannes sont-elles l’occasion de relocaliser la souveraineté alimentaire ?

Transformation et valorisation

  • Mieux valoriser la production passe nécessairement par le circuit court ?
  • Quel marché pour les produits issus de semences paysannes ?
  • Comment se protéger de l’appropriation ou captation du travail réalisé par le collectif ?
  • Faut-il créer une marque ou un outil de reconnaissance ?
  • Quelle échelle de mutualisation de la transformation ?
  • Comment construire le prix à l’échelle de la filière ?
  • Comment aller vers un prix rémunérateur pour les paysans mais également accessible à tous les consommateurs ?
  • Comment impliquer les autres acteurs des filières ?

Les visites : du blé, des pommes et du maïs – du pain, des pâtes, du cidre et des talo !

Christophe Bidart, des pains bio, locaux au levain, 100% blés paysans

« Mon grand-père faisait sa farine et son pain, à base de blés paysans produits en Iparralde1. Mon père a repris l’entreprise familiale mais sans l’activité de meunerie, il achetait la farine et les blés n’étaient plus produits localement ». Xoko (Christophe) a travaillé avec l’entreprise familiale en « conventionnel » avant de se former à des pratiques de panification plus alternatives, avec des levains notamment. En 2012 il est allé se former auprès de paysans-boulangers dans le Tarn, l’Aveyron, en Bretagne… ce qui lui a donné envie de travailler avec des blés paysans produits au Pays Basque mais, à l’époque, il n’y en avait pas. N’ayant pas de terre, il a contacté B.L.E. pour se rapprocher des fermes et leur proposer de cultiver des blés paysans. En parallèle de cela, il fallait également (re)trouver des variétés qui s’adapteraient au climat humide du Pays Basque et réapprendre les pratiques de cultures et stockage adaptées à ces conditions particulières.

Aujourd’hui, Xoko a réinvesti le fournil familial dans lequel il a installé un moulin type Astrier, plusieurs trieurs (alvéolaire Marot, séparateur type Denis), brosse à grain et une chambre froide pour le stockage. En lien avec plusieurs fermes au Pays Basque (do nt une partie en Araba et Navarre) qui cultivent des blés paysans en AB, il leur achète le blé et réalise le travail de tri, nettoyage et meunerie avant la panification. Les semences viennent des contacts de Xoko avec des Paysans Boulangers dans différentes régions, notamment dans le Tarn grâce aux rencontres des moulins. Ce sont essentiellement des mélanges, avec une exception l’an dernier d’un lot de rouge de Bordeaux en pur, mais Xoko préfère travailler des mélanges variétaux et des variétés un peu moins connues et répandues que le rouge de Bordeaux. Il aimerait notamment introduire le rouge d’Angleterre et le rouge d’Écosse dans les mélanges.

Malgré tout le chemin réalisé c’est encore les débuts, avec le réapprentissage de méthodes adaptées aux qualité des blés locaux, Xoko démarre juste sa production de pain en parallèle de la rénovation du fournil. Cette année il a panifié 7-8 tonnes de blés, pour le moment il commercialise dans le magasin familial, il commence ce printemps la vente sur les marchés et souhaiterait commercialiser auprès des cantines.

Erasmus chocoAprès de nombreux échanges sur son projet et ses pratiques, Xoko a proposé une dégustation de ses pains de 4 sortes avec différents mélanges dont un au seigle.

Présentation de la démarche Arto Gorria par Jon Harlouchet, polyculteur-éleveur

La ferme : Jon s’est installé en 1998 sur la ferme familiale à la suite de son père, qui avait pris la suite de son grand-père et de son arrière grand-père. La ferme n’était pas en bio mais ses parents se posaient déjà des questions. Dès les années 75, ils se sont questionnés sur la fertilisation, ont commencé à utiliser des composts, diminuer le travail du sol avec des labours moins profonds… Jon s’est installé avec la volonté de convertir la ferme après avoir réalisé un stage sur une ferme bio en Ariège. Aujourd’hui la ferme se compose de 35ha dont 12 labourables et le reste en prairies permanentes. Il élève des vaches laitières avec transformation en yaourts, vendus en direct et un peu de vente directe de lait frais. Il produit également farine et polenta de maïs de la variété Grand Roux Basque.

Le maïs grand roux basque, de la multiplication à la diffusion : Jon a commencé à cultiver des maïs de populations dans les années 2000-2010 lorsqu’est arrivée la problématique des OGM en France, qui lui a fait prendre conscience que les semences, bio, qu’il achetait, étaient vendues par les semenciers qui développaient aussi les OGM. Il a commencé avec une petite quantité, c’était l’occasion de récolter avec des amis, de faire une fête après2… A partir de ce moment, par le bouche à oreille, plusieurs personnes lui ont donné de la semence de maïs « grand roux Basque » cultivé au Pays Basque autrefois et conservé sur des petites fermes, dans les jardins familiaux, voire, dans un couvent. Jon a ainsi collecté une quinzaine de souches très différentes qu’il a multipliées pour les cultiver pour l’alimentation de son troupeau. Avec la sélection et grâce à la multiplicité des souches, les rendements ont progressé très vite les premières années. Par la suite, grâce à des échanges lors de fêtes des cueilleurs, et en lien avec la tradition locale de consommer les talo3, il a investi dans un moulin type Astrier pour réaliser ses moutures de farine et polenta. « C’est toujours par la rencontre que l’on avance et que l’on apprend des choses ». Il a commencé par commercialiser à Paris dans des restaurants de grandes réputations, c’est ainsi que ses produits se sont faits connaître et que la demande s’est développée en local et ailleurs. « C’est amusant et désespérant car on donne plus de valeur à ce qui est considéré du niveau social au-dessus ».

Erasmus Jon

L’association Arto Gorria pour la valorisation du maïs grand roux basque : en 2014, Jon, en lien avec une dizaine de fermes en polyculture-élevage de moyenne montagne, s’appuie sur l’association B.L.E pour construire la démarche Arto Gorria avec deux objectifs principaux. 1. Diffuser la semence et encourager les fermes à cultiver du maïs Arto Gorria. 2. Assurer les débouchés en étant plus nombreux pour limiter l’impact des années à petite production due aux aléas (la verse notamment…). En 2016, l’Association Arto Gorria est créée autour d’un cahier des charges exigeant notamment la production en AB, l’absence d’irrigation, le séchage à l’air libre (non chauffé), la transformation à la ferme ou chez un membre d’Arto Gorria et sur meule de pierre. Un élément essentiel pour les membres du collectif est que la plus-value de la production revienne aux fermes, et non aux intermédiaires (meunier, grande distribution…). En 2017, la marque Arto Gorria est déposée pour protéger la démarche et la reconnaissance de ceux qui travaillent dans le collectif. En effet le maïs Arto Gorria a acquis une certaine notoriété et le collectif souhaite que cette notoriété reste au service d’un projet agricole. Aujourd’hui l’Association compte une vingtaine de fermes, quelques-unes sont équipées d’un moulin, les autres travaillent avec un moulin mobile acheté en CUMA. Depuis l’an dernier elle participe à des évènements locaux pour la réalisation de talo 100% Arto Gorria.

 Erasmus TalloAprès la visite, Jon, son salarié et Xoko ont proposé une dégustation de talo aux participants

Sagartzea : conservation et valorisation des pommes locales

Sagartzea ça veut dire verger de pommiers en langue basque. Autrefois il y en avait dans toutes les fermes, essentiellement du pommier, qui servait à la fabrication de cidre pour la boisson quotidienne.

En 1989, une campagne a été menée par l’association Hemen, autour du thème « vivre et travailler au Pays Basque » avec un temps de réflexion et d’action autour de l’emploi au Pays Basque. « Dans la partie intérieure, Basse-Navarre et Soule, nous avons réfléchi à comment créer de l’emploi et encourager la diversification dans l’agriculture pour maintenir les fermes. Dans les années 90 elles étaient très spécialisées, en ovin lait essentiellement. Au Pays Basque nous n’avions pas de fruits et plutôt que d’acheter des pommes hyper traitées, quelqu’un a lancé l’idée d’en produire afin de créer une activité de diversification sur les fermes ».

Un groupe d’une douzaine de personnes s’est ainsi créé, dont certaines très intéressées par les variétés anciennes de pommes, c’est ainsi que naît l’association Sagartzea en 1990. Elle réalise un recueil de savoir-faire auprès de 250 personnes ayant connu les vergers sur les fermes et sachant fabriquer le cidre. Ils ont ainsi pu recenser des savoirs autour de variétés locales telles que l’anisa, l’eztika, l’erisagarra… Ils ont choisi 6-7 variétés qui revenaient souvent dans les enquêtes, et réalisé un travail de conservation pour la variété Eztika qui avait presque disparu. Par la suite, une étude de marché a permis d’estimer une production possible de 500 000 bouteilles de cidres. Le groupe a médiatisé le projet afin de mobiliser plusieurs fermes pour planter les 30 hectares permettant de produire cette quantité, l’objectif étant que ça reste vraiment un complément d’activité pour les fermes.

En 1992, l’association bénéficie d’un financement de la préfecture qu’elle met à profit pour investir dans du matériel collectif de transfo, de l’accompagnement technique et la réalisation d’analyses. La production de cidre démarre à ce moment-là mais se trouve être une grosse charge de travail pour les membres de l’association qui, en 1993, créent la coopérative Eztigar4 qui prend le relai pour la transformation et, plus tard, une SARL pour la commercialisation.

Les premières années, Sagartzea s’est concentrée à la création de la filière, le recueil des greffons, les stages pour apprendre à greffer… puis elle est revenue à son objectif initial : travailler autour de la conservation et la connaissance de la pomme en local. Ils ont ainsi poursuivi le recensement de variétés, caractérisé leur comportement en fonction du contexte pédoclimatique et de la conduite. Des analyses génétiques ont également était réalisées avec l’INRA afin d’identifier la provenance des variétés et s’assurer que toutes celles recensées et nommées en fonction du lieu où elles ont été trouvées sont locales et distinctes les unes des autres.

Aujourd’hui l’association compte une trentaine d’adhérents et a répondu aux objectifs de départ : créer de l’emploi agricole, diversifier les fermes et conserver les variétés locales.

 Erasmus SagartzaeVisite d'un verger conservatoire de Sagartzea, suivi d'une dégustation de cidres et jus de pommes

L’Odyssée d’engrain ou l’aventure de citoyens et de paysans dans la création d’une filière locale

L’association L’Odyssée d’Engrain a été constituée en 2013 pour préfigurer la création d'une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Ce collectif d’agriculteurs et de consommateurs fabriquent des pâtes sèches biologiques et artisanales à partir de blé Poulard d’Auvergne et de petit Épeautre cultivés localement et transformés dans l'atelier coopératif à Cizos (65).

L’objectif est de construire une filière viable et rémunératrice qui va de pair avec la promotion d’une agriculture paysanne et biologique, préservant la biodiversité cultivée et génératrice d’emplois sur le territoire. Le projet veut permettre aux partenaires de pouvoir vivre de leur métier : la production de céréales, la meunerie, la vente. Le statut de SCIC a permis d’adapter ce principe au contexte local tout en abordant différemment la collaboration et les relations humaines au travail5

Le collectif planifie la production selon une règle de répartition des volumes. Sur chaque ferme, il n’y a donc pas plus de 3 à 4 hectares engagés pour la SCIC ; les pâtes doivent rester un atelier de diversification pour les fermes, afin d’assurer leur résilience économique. Le prix d’achat du blé est voté chaque année par les sociétaires, mais varie peu : entre 600 et 650 euros la tonne.

 Erasmus Odysée dEngrainVisite des locaux de transformation à CizosLa gamme de pâte proposée s’est diversifiée (coquillettes, pennes, vermicelles ..). La réflexion continue avec des pâtes aromatisées aux légumes ou encore de nouveaux produits – flocons d’avoine, muesli. Cela permettrait d’impliquer des maraîchers et des producteurs de petits fruits locaux.

 

1Pays Basque Nord

2Fête des cueilleurs volontaires de maïs au Pays Basque, 2006 et 2007

3« galettes » traditionnellement fabriquée à partir de farine de maïs

4Comme le nom d’une variété sauvegardée par l’association, signifie aussi doux, la flamme et acidité en basque

5  : Source – Fiche descriptive de la SCIC l’Odyssée d’Engrain – projet CERERE 2018