Vers une vision globale de la santé des plantes

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De nombreux membres du RSP s’interrogent sur les approches en terme de santé des plantes qui seraient les plus adaptée à l’agro-écologie paysanne, d’autant que la pratique de terrain entre souvent en contradiction avec les normes dictées par l’administration. Voici les réflexions de quelques praticiens (éleveur, vigneron, producteur de semences, cultivateur, chercheur, animateur) issues d’une rencontre de partage d’expériences organisée sur cette thématique en juillet 2019.

À l’origine de ce temps de partage, il y a l’irruption d’une nouvelle réglementation sanitaire européenne imposant les analyses de laboratoire comme seule source de vérification de l’état sanitaire de certaines semences. « Elle [la réglementation actuelle] devient de plus en plus restrictive et se pose la question de continuer, de vivre avec nos valeurs et nos pratiques » selon un producteur de semences potagères. En 2017, des lots de semences de tomates produits par plusieurs artisans semenciers ont été détectés porteurs d’une bactérie du genre Clavibacter, un organisme dit de quarantaine qui quand il s’exprime dans les champs provoque de dépérissement du plant de tomate. Les artisans semenciers sont aussi soumis à des contrôles sur d’autres organismes de quarantaine, notamment la « graisse du haricot »1. La question devient pressante avec l’application fin 2019 de ce nouveau règlement qui s’appliquerait à la fois aux semences commercialisées à des professionnels mais aussi à des amateurs.

Ces préoccupations rejoignent la réflexion sur la manière dont les paysans du groupe blé du RSP gère la carie du blé, une maladie cryptogamique transmissible par la semence qui, passé un certain seuil, met en péril la récolte, et in fine le long travail de préservation et de renouvellement des variétés paysannes de blé.

Pour autant, « ce n’est pas parce que la maladie est présente sur la semence que ma plante sera malade et ne saura pas se défendre contre elle. Ce n’est pas parce que j’ai des mauvaises bactéries dans ma fromagerie ou dans mon fumier que mon fromage ne saura pas se défendre contre elles» selon un des éleveurs présents.

La loi du microscope ou l’observation de terrain ?

Selon les différents retours d’expériences, l’expression de ces maladies procéderait d’un contexte cultural particulier. Chez le producteur dont le lot de tomates a été analysé positif au Clavibacter, la maladie ne s’est jamais exprimée dans les champs. Selon lui, « cette bactérie peut être un problème dans certaines conditions de culture mais pas dans les conditions d’une petite agriculture bio ».

Les modes de culture intensifs favoriseraient l’expression et la propagation des maladies. C’est aussi ce que l’on note dans le cas de la « graisse du haricot ». La réglementation est apparue dans des régions de productions intensives de haricot grain en monoculture dans les années 70 (La Vendée, Paimpol). La maladie s’est propagée rapidement, propagation accentuée par l’absence de rotation et la pratique généralisée des semences de ferme. Après plusieurs accidents de culture, la détection et le traitement systématique ont été rendus obligatoires. Pourtant la « graisse », bien que présente sur les semences, ne s’expriment pas forcément dans les jardins des artisans semenciers ni dans les petites fermes maraîchères en bio : « la graisse vit avec nos haricots ».

Le cas de la carie du blé est plus nuancé : même à une petite échelle, les producteurs ne peuvent pas dépasser un certains taux d’infestation. Au delà, la maladie se propage rapidement dans le champ et compromet la récolte. Outre la perte de rendement (les spores se développent dans l’épi à la place du grain), les grains cariés dégagent une forte odeur de poisson rendant le blé impropre à la consommation humaine (farine et pain). Des traitements alternatifs de la semence existent en bio et permettent de limiter la carie à des taux acceptables (sulfate de cuivre, vinaigre blanc….)

Pour beaucoup, comme prémices au débat, il y a les contraintes actuelles de production qui induisent un déséquilibre : « le paysan créé la faiblesse » notamment dans le cas de la vigne conduite en monoculture. Ce déséquilibre est accentué par le contexte socio-économique qui oblige le paysan à fabriquer un revenu et donc à intensifier sa production. Notre système de production actuel est hors sol : sans champignons, sans interactions entre les humains et les non humains. Il n’est pas adapté aux écosystèmes où tout est en mouvement. Cela influe sur la régulation « naturelle » des pathogènes. Ainsi « l’art du bon paysan est de trouver pour sa ferme la production qui va lui permettre de vivre mais qui ne va pas faire basculer la plante vers la maladie ».

La diversité biologique comme alliée des plantes.

Par delà les spécificités de son terroir et son système de production, la nécessité d’accroître la diversité à tous les niveaux est unanimement partagée comme une des solutions pour réguler les pathogènes : diversité des cultures, diversité intra-variétale, diversité des micro-organismes présents dans l’ensemble de l’écosystème (du sol jusque dans nos corps, nos animaux, nos maisons, nos fournils….). Certaines expériences de terrain allant dans ce sens ont été développées. « Le principe de base est de ne pas laisser la place pour les mauvaises bactéries, en saturant avec des bonnes bactéries. Il faut maximiser le nombre de souches fermentaires : elles proviennent aussi directement de la flore des prairies, via leur transport sur les mamelles les animaux avant d’aller à la traite, ou via le système immunitaire de l’animal que l’on peut diversifier en donnant du kéfir de lait ou du petit lait en boisson. Elles sont aussi sélectionnées par le travail du fromager qui guide son fromage en influant sur la température et l’humidité...et aussi transportées par ses mains».

Parmi les facteurs de bonne santé, la diversité des micro-organismes dans les écosystèmes semble aussi prépondérante. Les pratiques paysannes qui en découlent sont multiples. Le principe de l’action protectrice de certains micro-organismes peut être illustré par le test dit du « Saint Moret » : on achète un fromage stérile industriel et on le met dans une fromagerie paysanne pendant deux heures. Ensuite on l’emballe sous film pendant 24 heures avant d’observer. Il devient tour à tour rouge, bleu, vert, kaki... alors que les fromages paysans dans les mêmes conditions restent blancs car ils ont un bon système immunitaire.

Un des vignerons présents a, quant à lui, axé son travail sur la régénération de ses sols fortement dégradés par le travail mécanique et menacés par l’érosion. Son fil directeur a été d’imiter le fonctionnement de la forêt où la vigne joue le rôle de l’arbre. Il a laissé poussé l’herbe, réduit le travail du sol à minima (travail léger un rang sur deux avec 3 façons culturales). Après 40 ans, il y a des parcelles qui produisent de bonne récoltes sans aucun intrants simplement parce que la vie tourne sur elle même (sol « vivant »). Reste la problématique des sécheresses récurrentes et de la concurrence induite par son système pour l’accès à l’eau. « Il faudrait peut être attendre encore plus qu’on ait un sol forestier avec une large couche d’humus. Je commence dans les sols qui sont enherbés depuis 40 ans à avoir 5 cm de terre noire. Quand il pleut et qu’on met la main là dedans, c’est un vrai bonheur : ça sent l’humus, la vie y est exubérante. Peut être en faudrait-il 40 cm pour un sol plus résilient à la sécheresse ? Mais pour cela il faudrait que j’attende 4 fois 40 ans ! ». Ce vigneron a couplé cette approche avec une grande diversité de cépages, une quarantaine sur son vignoble. Cette diversité lui permet d’atténuer les accidents climatiques de plus en plus fréquent (sécheresse, excès de pluie notamment) « Une plante ne peut pas à la fois résister à un excès d’humidité et à un excès de sec : cette plante n’existera jamais. Il faut s’accommoder de ses sols, savoir les observer, les rendre vivant et savoir quels porte-greffes et quelles variétés sont les mieux adaptés en observant les interactions ».

Écologie et régulation des pathogènes.

Les échanges ont mis en avant des niveaux d’interventionnisme humain différencié et des temporalités d’action différentes. Selon un agronome présent à ces rencontres, « il y a un siècle et demi, il fallait de 3 à 6 ans pour qu’une maladie trouve sa résolution en disparaissant y compris les maladies humaines. Aujourd’hui pour les maladies des plantes, nous sommes dans une échelle de temps entre 30 et 60 ans ». En cause notamment la diminution drastique du nombre d’oiseaux migrateurs véritables messagers de l’information immunitaire via les « hots spots biologiques » comme l’illustre l’exemple récent de l’évolution sanitaire du buis. Depuis peu au nord de l’Allemagne, est apparu un virus qui dévaste la pyrale du buis et le buis recommence à verdir. Les pyrales atteintes tombées sur le sol sont passés dans la chaîne alimentaire et le virus a été transporté par des migrateurs comme les cigognes (Elbe, Danube, Turquie, Israël, Égypte puis lac Tana en amont du Nil en Éthiopie). A cet endroit, il y aussi du buis et de la pyrale (2000 mètres d’altitude). Quelque mois après avoir aperçu les premiers effets du virus en Allemagne, on observe la même chose dans la région du lac Tana. Doit-on pour autant laisser faire un hypothétique état de nature pour autant que l’on se base sur la croyance d’un grand partage entre ce qui est de l’ordre de la nature et ce qui est de la culture ?

Les échelles de temps et les contraintes de production sont pour beaucoup un facteur limitant dans une approche agronomique qui tendrait vers le fonctionnement des écosystèmes naturels. A l’importance du réseau mycorhizien dans la santé globale des plantes et leur vigueur, se pose la question d’un contexte de grandes cultures en bio où les terres, sans pour autant être labourées, sont plus ou moins remuées et laissées temporairement à nu. Un paysan-boulanger pose aussi la question des alternatives au traitement de la carie par sulfate de cuivre qui nuit à la mycorhization. Un éleveur observe que ses choix agronomiques de départ, « l’élevage d’herbe » selon ses termes, accroissent la sensibilité parasitaire de son troupeau : « Pour moi, c’est un principe de la bio de partir de son lieu, de comprendre ses faiblesses et ses avantages, d’axer sur les avantages et d’essayer d’adapter le troupeau, l’éleveur, le fromage comme un seul organisme vivant. Je ne peux pas laisser les choses faire sur 50 ans. Mon activité dans mon territoire est fabriquée et c’est paradoxal. J’assume ce côté maladif ».

Cette question de l’échelle de temps et du rôle du paysan met en exergue l’importance de la forme, de l’agencement pour organiser l’espace de telle façon que l’on ne soit jamais loin des endroits où il y a du mycélium et des bactéries. «  Un vieil arbre agit sur 500 mètres soit 100 ha pour peu que que l’on ait un réseau mycélien suffisant pour distribuer les éléments et les micro organismes. Un vieil arbre de 400 ans a eu toutes les maladies, a du faire face à tous les accidents climatiques : son système immunitaire a résolu ces problèmes, son organisme s’est adapté via des mécanismes génétiques et épigénétiques mais aussi grâce à la diversité biologique de son environnement notamment celles des micro-organismes du sol. Il garde la mémoire de l’histoire d’un terroir ». Si les arbres possèdent l’information, abritent la diversité, leurs champignons auxiliaires ne sont pas les mêmes que ceux de nos plantes cultivées. Il faut pour cela des plantes relais dite connecteurs qui créent des liens souterrains entre espèces. La ronce est par exemple un formidable connecteur comme beaucoup de Rosacées: elle abrite à la fois les champignons du milieu forestier et les champignons du milieu qu’elle va coloniser. « Prélever ainsi un échantillon de sol au pied de cet arbre pour l’inoculer chez soi permettrait d’augmenter nos collections micro-organismes. A l’instar des échanges de semences, pourquoi ne pas prendre l’habitude d’échanger nos inoculums ? Chacun amènerait son inoculum prélevé au pied de son arbre, on mélange dans une brouette et chacun repart avec un peu de mélange. L’idée est de consolider peu à peu dans un lieu autour d’un vieil arbre une mémoire de ce qui a bien fonctionné. Par extrapolation, on pourrait aussi y inoculer nos propres micro-organismes issus de nos aliments fermentés : levain, kéfir, petit lait, vin, vinaigre… voire de la matière végétale issu de plantes cultivées résistantes : par exemple une feuille de tomate qui a résisté au mildiou ».

Quelle approche expérimentale ? Pour quelle production de connaissances ?

Parmi les pistes de travail évoquées, la mise en place d’une approche expérimentale adaptée qui permettent de comprendre ces maladies particulières semblent importante. Pour un paysan boulanger, « il faut comprendre l’écologie de la carie pour pouvoir la limiter ». Il propose de systématiser le plus d’observations possibles : rôle des messicoles inféodés au blé comme la carie depuis longtemps, rôle des micro-organismes, rôle de la lune et des astres...Pour ce type de problème, l’échanges de pratiques en lien avec une méthode scientifique plus globale peut amener des solutions.

Un paysan alerte sur le type de connaissances à produire : « on n’ira pas se battre sur le terrain scientifique. Il faut élaborer des discours agricoles limités à ce qu’on est capable de développer dans nos fermes et c’est cela qu’on oppose. Si je veux défendre mon fromage, peu importe que je sache la composition bactérienne exacte de mon petit lait parce ce que je veux défendre c’est ma démarche ».

Une agronome souligne l’inadéquation des protocoles d’expérimentation issue de l’agronomie dans le cas de l’évaluation de différents traitements contre la carie avec une approche probiotique. « Pour avoir un retour probant, il faudrait analyser des milliers d’épis pris dans des contextes différents ».

Nombreuses sont les expériences où les praticiens cherche à améliorer la tolérance des plantes aux pathogène par la sélection. Cela rejoint la question de la capacité des plantes à se défendre elles mêmes. Par exemple, plusieurs producteurs de semences potagères ne font plus aucun traitement sur leurs porte-graines : ils observent des résultats sur oignon, tomate et choux. Les avis sont divergents quant à sélectionner des plants malades. Certains ont des avis tranchés : « quand une plante est belle, on la garde même si à l’échelle du millénaire en gardant les pieds malades on obtiendra peut être une résistance ».

Un jeune producteur se pose la question de la présence invisible de pathogène tels que Clavibacter dans ses semences alors même qu’ils ne s’expriment pas au champ: comment s’assurer que la maladie ne se déclarera pas chez un de ses clients si son système n’est pas assez résilient? Le travail du paysan doit tendre à « fabriquer un système immunitaire pour que les maladies ne s’expriment pas ».

Comment agir face aux normes industrielles ?

Les pratiques paysannes et artisanales sont souvent en contradiction avec les normes dictées par l’administration. « Nous sommes tous sur des sièges éjectables » pour une cuisinière indépendante. Le cortège d’obligations réglementaires complique la vie quotidienne notamment celle des éleveurs : utiliser des plantes est interdit sans ordonnance vétérinaire, certaines sont interdites en huile essentielle, les bêtes doivent être pucées sous peine de sanctions lourdes (p.e. interdiction de commercialiser), en élevage bovin une perte de traçabilité de 3 jours entraîne une décision administrative d’abattage….

Côté semence, la présence d’organisme de quarantaine pourrait avoir à l’avenir des conséquences socio-économiques très lourdes pour les artisans semenciers d’autant que le périmètre de la réglementation risque aussi de s’élargir au jardinage amateur : coût des analyses de laboratoire, interdiction de vendre les lots positifs, interdiction de cultiver des espèces de la famille des solanacées pendant 5 ans, établissement de parcelles « hors graisses » dans le cas du haricot, perte du travail de sélection par le remplacement des souches « contaminées » par d’autres souches « saines »…

«Nous avons été contrôlés par le SRAL qui a fait un prélèvement d’échantillon [sur le lot contaminé par Clavibacter]. Si ce test s’était révélé positif, tous les producteurs de solanacées à la fois, ceux des semences de base comme ceux des multiplications, n’avaient plus le droit de produire. Ce qui mettrait en péril les fermes et la structure. Le risque est collectif » selon un artisan semencier.

L’importance de communiquer et de sortir du seul cercle de convaincus a été maintes fois évoqué: la dimension sociétale et culturelle de nos réflexions est prépondérante pour pouvoir avancer, tant parce que le renouvellement de la biodiversité cultivée est d’intérêt général (les seuls paysans ne peuvent pas porter l’ensemble du poids de cette tâche) que le rapport dominant au monde est d’ordre industriel. « Il s’agit de faire advenir une nouvelle culture du vivant ».