[REPONSE] Assemblée nationale, Question écrite n° 13996 de Mme Sophia Chikirou (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Paris ) au ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire publiée au JO le 26/12/2023 - Position française sur la directive européenne de dérèglementation des OGM

Niveau juridique : France

Texte de la question :

« Mme Sophia Chikirou interroge M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le projet de déréglementation des organismes génétiquement modifiés (OGM) en cours au niveau de l’Union européenne. La Commission européenne a présenté en juillet 2023 une proposition de directive pour encadrer les « nouvelles techniques génomiques » (NGT), qui consistent à modifier le matériel génétique des plantes sans forcément introduire un gène d’une espèce différente, comme c’est le cas pour les OGM de première génération. Cette directive prévoit justement de différencier ces deux catégories d’OGM pour assimiler les NGT à des variétés conventionnelles, au prétexte qu’elles auraient subi moins de mutations. Ainsi, elles ne seraient pas soumises à une évaluation des risques sanitaires et environnementaux, pas plus qu’à des obligations de traçabilité et d’étiquetage. Cela va totalement à l’encontre du jugement de 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne qui assimile toutes les cultures issues des NGT à des OGM et les soumet donc à des règles strictes. Peu importe pour la Commission européenne, qui juge que cette décision de justice a fait prendre du retard à l’Union européenne par rapport aux États-Unis d’Amérique. Oubliés le principe de précaution et l’impératif de santé publique quand la sacro-sainte compétitivité est en jeu ! La Commission a bien tenté de leurrer tout le monde en prévoyant la réalisation d’une étude d’impact… en 2025, soit après l’adoption de la nouvelle réglementation. Cette annonce ne garantira donc en aucun cas le respect du principe de précaution, d’autant plus que les brevets sont délivrés pour de très nombreuses années (jusqu’à 20 ans). En mettant fin aux obligations de contrôle, de traçabilité et d’étiquetage, l’Union européenne mettrait un terme de manière irréversible au libre choix des citoyens européens de consommer ou non des aliments issus d’OGM et des paysans de produire avec ou sans OGM, en France et dans toute l’Union européenne. Il y a donc grand danger. Et au-delà du risque sanitaire, ce règlement ouvre grand la porte à la privatisation et à l’accaparement du vivant par les brevets. Nombre d’organisations et syndicats du monde agricole comme la Confédération paysanne ou Greenpeace France sont mobilisés pour éviter cette déréglementation. Le 13 décembre 2023, ils se sont rassemblés à Europa Experience, géré par la Commission européenne et le Parlement européen, pour protester pacifiquement et alerter les citoyens sur les risques d’une telle évolution législative. Les ministres de l’agriculture des pays membres ne sont pas parvenus à un accord à l’occasion de la dernière réunion du Conseil de l’Union. Les négociations se poursuivent. Il est donc grand temps de clarifier la position de la France. Le 20 novembre 2023, dans le cadre d’une précédente réunion du Conseil, M. le ministre expliquait à la fois vouloir garantir « une maîtrise des risques pour la santé » et soutenir l’approche distinguant deux catégories d’OGM, en assimilant la première catégorie (les NGT) à des plantes conventionnelles. De même, le Gouvernement se dit favorable à l’étiquetage des semences proposé par la Commission européenne. Mais cette obligation d’étiquetage reste un vœu pieux puisqu’elle n’est accompagnée d’aucun contrôle ni obligation de transparence sur les procédés. Par contre, le Gouvernement s’oppose à un étiquetage obligatoire de la catégorie 1 (NGT) jusqu’au consommateur final. En somme, le consommateur n’aura plus accès à une information fiable sur la qualité des produits alimentaires. Et les filières non-OGM et biologiques en seront gravement fragilisées, ne pouvant plus se démarquer avec certitude des autres filières, par manque de traçabilité. Le Gouvernement s’inquiète à raison du risque de verrouillage du marché des semences, à cause des brevets qui accompagnent les plantes OGM déréglementées. La Confédération paysanne alerte sur le risque de « hold-up sur le vivant », que pourraient réaliser les cinq multinationales semencières et pesticides, qui détiennent déjà 70 % du commerce mondial des semences. Mais il y a un paradoxe fondamental à vouloir supprimer l’étiquetage et la traçabilité effectives des OGM et en même temps s’inquiéter de l’accaparement des semences par les brevets, sur lesquels l’information sera mécaniquement réduite. C’est pourquoi elle lui demande de clarifier publiquement sa position et de faire preuve de fermeté contre tout affaiblissement de la réglementation des OGM. C’est indispensable pour garantir la santé publique, l’avenir d’une agriculture durable et la souveraineté alimentaire du pays. »

Réponse du ministère de l’Agriculture du 30 avril 2024 :

« Le Conseil de l’Union européenne (UE) a demandé à la Commission européenne de conduire une étude sur le statut des nouvelles techniques génomiques (NGT) dans le droit de l’UE, à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 25 juillet 2018 sur la mutagenèse. L’étude de la Commission européenne, publiée le 29 avril 2021, montre que la réglementation européenne relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM) n’est pas adaptée à certaines NGT ainsi qu’à leurs produits et qu’il est donc nécessaire de l’adapter aux progrès scientifiques et technologiques. Après une étude d’impact, la Commission européenne a présenté le 5 juillet 2023 un projet de règlement visant à adapter la réglementation pour les plantes issues de certaines NGT, ne contenant pas de gènes étrangers provenant d’espèces incompatibles. La Commission européenne propose de distinguer deux catégories de plantes NGT, selon la nature et l’ampleur des modifications génétiques apportées, et prévoit une procédure réglementaire adaptée à chacune de ces catégories. Il n’est pas envisagé de modifier l’encadrement réglementaire applicable aux OGM issus de transgénèse. L’objectif de cette initiative est d’aboutir à une réglementation proportionnée pour ces plantes, et d’adapter les procédures d’autorisation et d’évaluation des risques ainsi que les exigences de traçabilité et d’étiquetage, tout en maintenant un haut niveau de protection de la santé et de l’environnement et en tirant parti des bénéfices de l’innovation pour contribuer aux objectifs des stratégies pacte vert, « De la ferme à la table » et biodiversité. Les nouvelles techniques de sélection accélérée peuvent constituer un outil intéressant, parmi d’autres, pour accompagner la transition écologique, mais aussi l’adaptation des agricultures au changement climatique. Pour la France, il est essentiel de disposer d’un cadre réglementaire adapté à ces NGT, qui garantisse une maîtrise des risques pour la santé humaine et l’environnement, au service d’une agriculture plus durable. Il s’agit d’un enjeu de souveraineté alimentaire, autant que de transition écologique, dans un contexte où l’UE ne doit pas se priver des progrès que la création de nouvelles variétés peut apporter pour atteindre ses objectifs. La France soutient une approche en deux catégories de végétaux NGT incluant une catégorie 1 de plantes semblables aux plantes conventionnelles. La France soutient également les dispositions prévues pour la catégorie 1 concernant l’étiquetage des semences et l’exclusion en agriculture biologique. La traçabilité et l’étiquetage au niveau des semences permettront aux agriculteurs de la filière biologique ou d’autres filières qui souhaiteraient mettre en avant l’absence de NGT d’éviter les NGT au stade de la culture et de mettre en place une traçabilité documentaire tout au long de la chaîne de production. Une telle traçabilité documentaire est déjà requise dans le cadre de la réglementation sur l’agriculture biologique. Des améliorations ont été apportées au texte au cours des négociations sur des points importants pour la France, comme l’exclusion des plantes NGT tolérantes aux herbicides de la catégorie 1, la possibilité d’interdire la culture sur le territoire national (opt-out) pour la catégorie 2 ou le nouvel article sur les brevets prévoyant une étude de la Commission européenne pour 2025. La question des brevets a fait l’objet d’une attention particulière des États membres. Il s’agit de préserver l’équilibre de la filière semences et de protéger les petits obtenteurs. À la demande de certains États membres, dont la France, le calendrier de remise de l’étude de la Commission européenne, initialement prévu pour 2026, a été avancé à 2025, avant l’entrée en application du règlement NGT, prévue 2 ans après son adoption. La Commission européenne devra également, compte tenu des résultats de l’étude, fournir des informations sur les mesures de suivi ou, le cas échéant, présenter une proposition législative. De plus, il est prévu de mettre en place un groupe d’experts chargé de suivre les effets de la réglementation des brevets et de sa mise en œuvre. Lors du Conseil du 11 décembre 2023, la France a rappelé son soutien à l’initiative réglementaire mais a considéré que le texte pourrait encore être amélioré sur certains points, comme la prise en compte de la durabilité ou la prise en compte des connaissances scientifiques pour faire évoluer les critères d’équivalence de la catégorie 1 et s’assurer de leur robustesse. Cette position a été maintenue lors de la réunion du comité des représentants permanents des Gouvernements des États membres de l’UE du 7 février 2024. Le Parlement européen a adopté le 7 février 2024 sa position sur le projet de règlement, en vue des négociations avec les États membres sur la proposition de la Commission européenne. Les négociations sont toujours en cours dans le cadre du Conseil. Un accord à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE) sur le texte est nécessaire pour que des discussions puissent être engagées avec le Parlement européen. La France souhaite que les négociations puissent se poursuivre pour pouvoir adopter au plus vite un cadre réglementaire européen adapté et sécurisé qui permettra de mieux accompagner les agriculteurs dans leurs transitions. »

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