Assemblée nationale - Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire - Audition de Mme Annabelle Jaeger, MM. Olivier Laroussinie et Gilles Bœuf, préfigurateurs de l’Agence française pour la Biodiversité

Niveau juridique : France

Extraits choisis du CR de séance du 25-11-2015 :

  • «  M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, je suis ravi d’accueillir aujourd’hui Mme Annabelle Jaeger, conseillère régionale de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et présidente de l’Agence régionale pour l’environnement et l’écodéveloppement (ARPE), M. Olivier Laroussinie, directeur de l’Agence des aires marines protégées (AAMP), et M. Gilles Bœuf, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et désormais conseiller de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, tous trois préfigurateurs de l’Agence française pour la biodiversité, que Mme Ségolène Royal a nommés en février dernier, à l’issue du Comité national de suivi de la stratégie nationale de la biodiversité. Je rappelle que l’AFB avait eu précédemment deux autres préfigurateurs, M. Bernard Chevassus-au-Louis et M. Jean-Marc Michel.

Comme vous le savez, le projet de loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages poursuit – très lentement – son parcours législatif. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a adopté le texte, le 8 juillet dernier, qu’il est prévu d’inscrire en séance publique en janvier prochain. Nous aurons donc à examiner en seconde lecture, en février ou en mars 2016, les missions, les moyens et le contour de l’Agence française de la biodiversité, d’où l’importance de votre audition aujourd’hui. »

(…)

  • M. Olivier Laroussinie : « Le rapport que nous avons rendu en juin mettait deux points en évidence. Premièrement, sur la question du positionnement institutionnel de l’Agence française pour la biodiversité, il nous a semblé important de réaffirmer que l’agence devait être au service de trois politiques – celle de l’eau, celle de la biodiversité et celle de la protection des milieux marins –, ayant chacune sa propre échelle de mise en œuvre : nationale et régionale pour la biodiversité, de bassin-versant pour l’eau et de façade maritime pour les milieux marins. Il existe pour chacune de ces politiques des services spécifiques : les comités de bassin et les agences de l’eau pour la politique de l’eau – auxquels l’ONEMA apporte déjà son appui –, les conseils maritimes de façade et les directions interrégionales de la mer pour les milieux marins – qui travaillent en appui de l’Agence des aires marines protégées dans le cadre de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM) et du plan d’action pour le milieu marin (PAMM) – et, pour ce qui est de la biodiversité, le Comité national et les comités régionaux de la biodiversité. Notre rapport préconise que l’Agence française pour la biodiversité soit placée en appui à ces entités, et qu’elle joue le rôle d’animateur des stratégies appliquées sur les plans national et régional, l’échelle régionale étant désignée comme celle à mettre en œuvre sur le plan territorial.

La déclinaison territoriale est le deuxième sujet sur lequel nous voulons mettre l’accent aujourd’hui. De nombreux acteurs nous ont fait part de leurs inquiétudes et de leurs souhaits quant à la façon dont l’Agence française pour la biodiversité serait déclinée sur le plan territorial. De ce point de vue, le rapport propose de considérer les choses selon deux piliers, deux approches correspondant chacune à des besoins différents : d’une part, une approche régalienne, c’est-à-dire du point de vue des missions pour le compte de l’État – essentiellement des missions de contrôle et de police –, d’autre part, une approche partenariale sur toutes les autres missions d’appui aux acteurs, d’aide à l’élaboration des stratégies, d’animation de leur mise en œuvre – qui se justifie par le fait que les collectivités, en particulier les régions, sont appelées à jouer un rôle croissant. »

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  • M. Gilles Bœuf. " Pour ma part, je m’exprimerai devant vous en tant que scientifique, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire à plusieurs reprises.

La principale problématique à laquelle nous ayons dû faire face a consisté à trouver le moyen d’intégrer la future agence au dispositif préexistant. La France est déjà dotée d’un Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB) – créé en 2004 par le ministère de l’écologie –, d’une Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) – un établissement de coopération scientifique créé en 2008 à l’initiative des ministères français de la recherche et de l’environnement –, ainsi que d’un Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Nous avons discuté avec la ministre de la meilleure façon d’harmoniser ce dispositif, et j’ai pour ma part plaidé pour que l’on maintienne le CSPNB, seul organisme véritablement indépendant à ce jour, puisqu’il est constitué de chercheurs qui viennent par eux-mêmes participer à des réflexions sur des thèmes relatifs à l’environnement – le CSPNB ayant vocation à être consulté sur certaines questions, et pouvant également s’autosaisir : il est ainsi intervenu notamment sur le thon rouge, sur la forêt et sur l’eau.

Si l’intérêt essentiel du CSPNB est son impartialité, la FRB ne peut se prévaloir de la même qualité, dans la mesure où elle a été créée avec le soutien de huit établissements publics de recherche. Par ailleurs, nous avons créé l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), émanation de douze organismes français de recherche – dont les huit qui sont à la base de la FRB –, qui a pour objet de fédérer et coordonner la stratégie scientifique. Quand il s’agit d’aborder des questions aussi délicates que celles des OGM, de la biologie de synthèse, de la géo-ingénierie ou de la bio-ingénierie, il n’est pas évident d’obtenir des scientifiques compétents en la matière qu’ils se retirent des organismes au sein desquels ils travaillent habituellement afin de disposer d’une totale liberté d’expression et d’être en mesure de délivrer à nos concitoyens toutes les informations qu’ils estiment importantes.

Je ne suis pas favorable à une fusion entre le CSPNB et le CNPN, qui ne font pas le même travail : si le CNPN rend des rapports qui font parfois plus de 500 pages, le CSPNB ne dispose pas des moyens nécessaires pour effectuer des travaux d’une telle envergure. En revanche, si l’Agence française pour la biodiversité se dote d’un conseil scientifique, comme le prévoit le projet de loi, la question du maintien du CNPNB se posera – peut-être aura-t-il vocation à devenir ce conseil scientifique. Quant à la FRB, elle doit continuer à exister, et constituera un puissant outil d’investigation de l’Agence française pour la biodiversité, pour peu que nous disposions des financements nécessaires pour lancer les études dont nous avons besoin.

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Un écologue se voir souvent poser des questions très simples auxquelles il est pourtant incapable de répondre, notamment celle consistant à définir le bon état d’un écosystème : c’est seulement quand un écosystème va mal que l’on peut le dire avec certitude, et nous aurions besoin de faire encore beaucoup de recherches dans ce domaine. De même, nous devons reconnaître un manque de connaissances sur les questions relatives à la compensation écologique, notamment sur l’efficacité des mesures très coûteuses qui peuvent être prises dans ce domaine. Nous avons vraiment besoin d’accroître nos capacités de réflexion et nos connaissances en la matière, et j’espère que la nouvelle organisation induite par la création de l’Agence française pour la biodiversité nous le permettra. »

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  • «  M. Olivier Laroussinie. Vos remarques et vos questions montrent qu’il nous reste un important travail d’explication à accomplir. L’allongement du calendrier législatif n’est pas sans incidence sur l’état d’avancement de la tâche qui nous a été confiée. Ainsi, nous avons appris juste après avoir rendu notre rapport (en juin) que nous disposions en fait d’une année supplémentaire pour mener à bien notre travail, et il est évident que nous allons mettre cette année à profit pour effectuer dans les meilleures conditions le processus de concertation que nous avons entamé.

J’appelle votre attention sur le fait qu’en l’état actuel du projet de loi, l’agence n’est investie d’aucune autorité, celle-ci restant aux mains de l’État et des régions, qui vont continuer à l’exercer au moyen des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) et des stratégies régionales de biodiversité ; certaines décisions seront également prises au niveau communal et intercommunal. L’irruption de l’Agence française pour la biodiversité dans le paysage ne va rien changer à la répartition des responsabilités et des compétences, la seule plus-value qu’elle a vocation à apporter consistant à aider les autorités compétentes à être mieux renseignées en amont et à mettre en œuvre de façon optimale les stratégies qu’elles auront définies. »

 

Lien vers CR complet : www.assemblee-nationale.fr/14/cr-dvp/15-16/c1516018.asp