Assemblée nationale, Commission du Développement durable, 6 mai 2015 : Table ronde sur l’apiculture et les néonicotinoïdes

Niveau juridique : France

Lien complet : www.assemblee-nationale.fr/14/cr-dvp/14-15/c1415045.asp

Extraits choisis :

(…)

«  M. Denis Sapène, apiculteur, membre de la Fédération française des apiculteurs professionnels. Je suis apiculteur en Haute-Garonne depuis 1979 et membre de la Fédération française des apiculteurs professionnels, qui regroupe des éleveurs d’abeilles vivant exclusivement des produits de la ruche et souhaitant continuer à exercer leur activité sur l’ensemble du territoire, comme M. Le Foll le leur a promis.

Il n’y a plus aujourd’hui de zones du territoire qui échappent à la problématique apicole. En 1995-1996 pour l’ouest et le centre, puis en 1997-1998 pour le sud-ouest, ont été dressés les premiers constats de dysfonctionnements des ruches : comportements anormaux des abeilles et des colonies, affaiblissements rapides et dépopulations. Ces phénomènes, auxquels nous n’avions pas été confrontés jusqu’alors, ont eu pour conséquence immédiate une baisse très importante des récoltes, puis une forte augmentation du taux de mortalité en automne et en hiver, les colonies survivantes étant très faibles en sortie d’hivernage.

Ces dysfonctionnements ont été observés à grande échelle, dans des exploitations aux pratiques très diverses. Nous avons mené des investigations en étudiant différents paramètres, notamment les conditions météorologiques et climatiques, ainsi que les végétaux cultivés. Le premier point commun qui en est ressorti est qu’il s’agissait toujours de zones de grandes cultures, essentiellement le tournesol et le maïs.

Dans ce contexte, nous avons également cherché du côté des traitements phytosanitaires. Le seul changement significatif dans les zones concernées résidait dans l’introduction et le développement de l’utilisation d’un nouveau traitement insecticide en enrobage de semence, le célèbre Gaucho, principalement sur le maïs et le tournesol. À l’époque, le traitement de semences affichait une image positive : une faible dose de matière active, appliquée exclusivement sur la graine en remplacement de l’épandage en plein, ou des microgranulés dans le rang de semis, se voulait moins nocive et était donc plus acceptable socialement.

Très rapidement, les apiculteurs ont fait part de leurs observations et de leurs soupçons aux administrations concernées, qui sont d’abord restées dubitatives et n’ont rien fait. Au bout d’un certain temps, la recherche s’est, elle, saisie du sujet. Deux caractéristiques de l’enrobage de semences ont été mises en évidence : d’une part, la systémie, c’est-à-dire la migration du produit dans toutes les parties de la plante – notamment le pollen et le nectar, ce qui nous concernait – d’autre part la rémanence, c’est-à-dire la persistance dans le sol – ce qui fait qu’une plante cultivée sur un sol où s’étaient trouvées des semences enrobées les années précédentes pouvait se trouver entièrement contaminée, y compris si elle n’avait pas été traitée elle-même.

Ces éléments ont conduit au retrait du Gaucho pour le tournesol en 1999 et pour le maïs en 2004. En 2013, un moratoire a été mis en œuvre, interdisant l’utilisation en traitement de semences de trois néonicotinoïdes – l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxam – pour le tournesol, le maïs et le colza. Cependant, depuis l’introduction du Gaucho en 1994, l’utilisation des néonicotinoïdes s’est très largement répandue, s’étendant aux cultures à paille – notamment les blés et les orges – ainsi qu’au maraîchage, à la viticulture, la sylviculture, l’arboriculture, et même au traitement des bâtiments d’élevage et des charpentes »

(…) M. Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA et de sa commission apiculture. :

«  Nous devons procéder à une évaluation réaliste des risques d’impact écologique. Même s’il est constaté que certains pays font une utilisation trop prophylactique des néonicotinoïdes, je rappelle que ce n’est pas le cas en France, où une vraie prise de conscience a eu lieu, aboutissant à une plus grande transparence des pratiques. Les traitements de semences effectués aujourd’hui dans notre pays représentent 30 % des surfaces en céréales d’automne, dont 70 % pour les orges, et un tiers des surfaces en maïs, que les semences soient fermières ou non – je précise que ces chiffres proviennent d’Arvalis-Institut du Végétal et du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). Certes, on peut toujours faire mieux ; j’insiste cependant sur le fait que ces traitements ne sont pas systématiques, mais appliqués de façon raisonnée en fonction des risques.

Je reprendrai l’expression évoquée tout à l’heure par le docteur Jean-Marc Bonmatin, « les antibiotiques, c’est pas automatique », pour souligner que le secteur agricole a fait une large application de ce slogan en diminuant très fortement la quantité d’antibiotiques administrée aux animaux depuis quelques années, tandis que la consommation humaine, elle, peine à diminuer. Cela dit, on peut espérer que le dialogue engagé avec les agriculteurs au sujet de l’utilisation des produits phytosanitaires, qu’il faut continuer à renforcer, aboutira à ce que nous trouvions des solutions en vue de diminuer encore les traitements.

Le monde agricole est bien conscient de la nécessité de préserver les abeilles, non seulement pour la production de miel, mais aussi en raison de leur rôle de pollinisateurs, essentiel à l’agriculture, notamment dans le cadre des schémas de sélection mis en œuvre pour la production de semences certifiées, réutilisables par les agriculteurs d’une année sur l’autre. Dans certaines régions de France, il n’est pas simple d’obtenir l’autorisation de mettre en œuvre des produits phytosanitaires en plein champ, que ce soit en raison des pluies, des vents, ou de la portance des sols. C’est ce qui avait conduit à mener les recherches ayant abouti à la technique des semences enrobées, qui ont effectivement eu des conséquences sanitaires, y compris des cas de mortalité, qui nous ont tous choqués. »

( …)

« Mme Brigitte Allain. Je veux rappeler une petite anecdote. En 2004, j’ai vécu ma première garde à vue pour avoir occupé les locaux de la DGAL. Nous y avions trouvé une lettre accablante de son directeur, qui indiquait clairement que le coût économique du retrait des néonicotinoïdes serait moins élevé que celui de la perte des abeilles. Dix ans après, nous en sommes toujours au même point. Aujourd’hui, la recherche devrait plutôt porter sur les méthodes alternatives.

Monsieur Joël Limouzin, vous avez dit que 30 % seulement des semences sont traitées, ce qui veut dire que 70 % ne le sont pas. Pour quelle raison ne peut-on pas franchir le pas ? C’est bien parce que certains intérêts majeurs sont très protégés dans notre pays. Nous devons tout faire pour que l’amendement adopté en première lecture dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité le soit définitivement, et que la recherche ne se tourne pas vers les organismes génétiquement modifiés (OGM) qui sont à 99 % des insecticides ou des herbicides. Certes, il y a moins de traitements, mais la pollution du sol, de l’air et des eaux profondes demeure.

Enfin, pourquoi ne développe-t-on pas l’agriculture biologique ?

J’observe au passage qu’un grand nombre de chambres d’agriculture sont dirigées par la FNSEA… »

( …)

«  M. Joël Limouzin. Telle est la posture de la FNSEA. Nous défendons la continuité de la recherche, non pour aller toujours plus loin en matière de rendements, mais pour que les agriculteurs puissent produire en quantité et en qualité et répondre aux enjeux de la biodiversité. Nous sommes d’ailleurs, vous le savez, totalement impliqués dans la discussion qui a lieu actuellement au Parlement sur la biodiversité.

La production de semences en France ne cesse de régresser depuis vingt ans parce que nous ne disposons pas des protections nécessaires pour produire ces plantes, et c’est dramatique. Pourquoi cela est-il autorisé ailleurs ?

Monsieur Gérard Bapt, on peut regretter que des produits phytosanitaires interdits en France soient importés, mais je vous renvoie à des décisions européennes. Actuellement, chaque État membre peut prendre la décision de retirer un produit du marché. Ce qui est incohérent, c’est qu’un pays européen retire un produit du marché alors qu’il reste autorisé dans un autre. La FNSEA attend que l’EFSA prenne des décisions et nous en prendrons acte à condition que ces décisions soient appliquées dans tous les pays européens. Si un produit est interdit en Allemagne par exemple, il doit l’être partout. »