Assemblée nationale, Commission du développement durable, mercredi 8 avril 2015, table ronde sur les produits phytosanitaires

Niveau juridique : France

Avec la participation de Mme Laurence Payrastre, biologiste à l’Unité Xénobiotiques de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ; Mme Geneviève Van Maele, professeur au Centre de toxicologie et de pharmacologie de l’Université catholique de Louvain ; M. François Veillerette, porte-parole et ancien président de Générations Futures ; M. Jérôme Audurier, exploitant du réseau DEPHY ; M. Benoît Drouin, président du réseau agriculture durable (RAD) ; M. Daniel Evain, producteur, représentant la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), et Mme Eugénia Pommaret, directrice générale de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP)

Extraits choisis :

« Mme Eugenia Pommaret. Du point de vue de la consommation moyenne par hectare de pesticides, la France se situe au dixième rang européen. Son agriculture est reconnue pour sa qualité, le dynamisme et la diversification de ses productions. Rien ne sert d’opposer les modes de production pourvu qu’ils répondent aux demandes légitimes des consommateurs.

L’importance de l’agriculture française interdit de réduire tout débat sur le sujet à une simple discussion sur les quantités. On lui reproche d’être le troisième utilisateur de produits phytosanitaires, mais la réalité c’est que la diversité des cultures ne permet pas toujours de répondre aux dangers sanitaires qui guettent. Chacun a en tête les exemples récents de la mouche de l’olivier ou le problème dramatique des producteurs de cerises. Malheureusement, les activités d’échanges, qu’elles concernent les variétés, les semences ou même le commerce, n’arrangent pas les choses. La vitesse de pénétration en France, et plus globalement en Europe, de problèmes sanitaires liés à des maladies ou à des ravageurs, a tendance à s’accentuer.

Sans un arsenal innovant répondant aux besoins des agriculteurs, la « ferme France » risque de se tourner vers les cultures faciles, qui sont moins sujettes aux attaques de ravageurs – le blé plutôt que le colza, par exemple. Or si l’on veut conserver une agriculture diversifiée, il faut pouvoir offrir des solutions pour la protection des plantes. Les industriels et la filière agricole n’ont pas attendu le plan Ecophyto pour se préoccuper de protection intégrée, notamment par le biais de variétés résistantes. Sur ce plan, la France ne doit pas être en perte de vitesse. Puisque les variétés ont changé, les produits de traitement doivent changer eux aussi, de façon à pouvoir toujours apporter des solutions. »

(…)

« M. Daniel Evain. Pour ma part, en tant qu’agriculteur biologique, j’utilise des produits de biocontrôle seuls, et non en complément de la chimie comme l’indiquait Mme Pommaret.

Certains députés ont regretté l’absence des grands syndicats agricoles ; je remarque que les semenciers auraient pu également être présents. S’ils ne fournissent pas de variétés suffisamment résistantes aux divers parasites – maladies ou insectes –, on aura du mal à réduire l’utilisation des pesticides. Il est regrettable que la sélection variétale n’ait pas progressé dans la voie de la performance. À la décharge des semenciers, ils n’ont fait que suivre le modèle agricole qui a développé une logique de rendement par les pesticides plutôt que par l’acquisition de variétés plus résistantes.

On peut effectivement s’interroger sur l’efficacité des néonicotinoïdes. Pour avoir travaillé pendant dix ans comme ingénieur de recherche sur les traitements de semences pour le compte de Cargill et Monsanto, je peux vous dire que les agriculteurs n’ont pas l’impression d’avoir une nouveauté s’ils n’achètent pas des semences traitées. Il faut dire qu’ils y ont longtemps été incités, ce qui rend aujourd’hui extrêmement difficile pour un semencier de vendre des semences non traitées. Il faut donc changer les mentalités. Je suis agriculteur biologique depuis maintenant quinze ans. Je n’utilise plus aucun produit de traitement de semences, et je n’ai jamais eu d’accident. Je ne dis pas que le risque n’existe pas, mais il est si faible qu’il ne justifie pas l’utilisation des produits de traitement de semences.

Le problème soulevé par M. Olivier Falorni de la séparation entre le conseil et la vente est indéniable. Il fut un temps où les agriculteurs étaient organisés, d’un côté, en coopératives de collecte pour valoriser leurs récoltes, d’un autre côté, en coopératives d’achats. Les entités et les opérations économiques étaient bien séparées. Aujourd’hui, les deux types de coopératives ont fusionné. Lorsque le marché des céréales baisse, la coopérative prend une marge très faible sur la collecte pour montrer à l’agriculteur qu’elle le rémunère au maximum de ce qu’elle peut, mais pour équilibrer ses comptes, elle est obligée de faire une marge sur l’approvisionnement, et elle se rattrape en vendant davantage de produits.

M. Jean-Marie Sermier a dénigré l’agriculture biologique en évoquant le cas d’une production nulle en 2013 et 2014. Pourtant, on observe depuis quelques années un très fort développement de l’agriculture biologique. Si les exploitants ne récoltaient rien chaque année, cette forme d’agriculture disparaîtrait. À l’inverse, il arrive qu’on ne puisse rien produire en agriculture conventionnelle. À cause d’un problème de résistance aux sulfonylurées, un herbicide contre les graminées, mon voisin a dû mettre en jachère un champ de dix hectares qu’il exploitait selon une rotation colza-blé-blé ou colza-blé-orge, un système qui implique un retour relativement rapide des mêmes cultures, donc des mêmes herbicides. Au final, le ray-grass est devenu résistant à l’herbicide, rendant le champ incultivable. Non seulement l’agriculture biologique se développe, mais c’est un modèle qui marche. Un grand nombre d’exploitations en agriculture biologique sont extrêmement viables et compétitives.

Le coût du matériel agricole est une donnée importante. Si l’on veut modifier les pratiques, il faut envisager un système de mutualisation. En mode conventionnel, on ne peut pas à la fois avoir du matériel pour désherber chimiquement et du matériel pour désherber mécaniquement. Le développement de synergies entre agriculteurs permettrait de développer les techniques utiles à la réduction de l’utilisation des herbicides. C’est ainsi qu’un de mes voisins agriculteur conventionnel emprunte régulièrement ma bineuse pour désherber ses betteraves.

Un autre changement à introduire chez les agriculteurs est la référence au rendement. Le réseau DEPHY ne se développe pas davantage parce que le résultat économique n’est pas encore le critère de valeur sur une ferme. Quand deux agriculteurs se rencontrent, ils comparent leurs rendements, pas leur résultat économique. »

Lien : www.assemblee-nationale.fr/14/cr-dvp/14-15/c1415043.asp