Nagoya : la France se veut optimiste

Sabine Casalonga,

Une législation sur le partage des avantages existe depuis 2006 en

Guyane au sein du parc national amazonien

Fournisseur et utilisateur de ressources génétiques, la France a une

place singulière en Europe. A l’instar de nombreux pays du Sud, elle

défend l’adoption d’un cadre international pour le partage des avantages

liés à leur usage : c’est l’enjeu principal de la conférence de Nagoya

qui s’ouvre lundi 18 octobre au Japon. Tour d’horizon des enjeux, des

points de blocage et des compromis proposés.

 

« Nagoya est le grand rendez-vous pour aboutir ou non à l’adoption du

protocole sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des

avantages issus de leur utilisation (APA ou ABS en anglais) », explique

Judith Jiguet, directrice de cabinet de la secrétaire d’Etat à l’écologie.

 

La 10 e conférence des Parties de laConvention sur la diversité

biologique (CDB), qui se tient du 18 au 29 octobre à Nagoya, est la

dernière échéance fixée pour la signature de ce protocole, en

négociation depuis 2002. Ce texte a pour objectif de fixer un cadre

international pour la mise en œuvre du partage équitable des bénéfices

issus de l’usage des ressources génétiques, le troisième pilier de la

CDB , entrée en vigueur en 1993 et ratifiée par 193 Etats, à l’exception

notable des Etats-Unis [voir le JDLE].

 

Son principal objectif est d’éviter la « biopiraterie ». Un célèbre

exemple est celui du cactus « coupe-faim » Hoodia gordonii, utilisé par

la communauté des Sans en Namibie, dont des échantillons ont été acquis

par des entreprises privées, via des contrats avec une université

d’Afrique du Sud, sans que les détenteurs du savoir traditionnel en

perçoivent le moindre dividende. Le protocole prévoit qu’une compagnie

souhaitant accéder à une ressource génétique (issue d’une plante, d’un

animal ou d’un micro-organisme) devra obtenir un permis préalable

délivré par l’Etat concerné, puis signer un contrat relatif au partage

des avantages, financiers ou non. En cas d’infraction, les gouvernements

seraient autorisés à engager des poursuites judiciaires et à sanctionner

les coupables.

 

L’Australie, le Canada et laNouvelle-Zélande sont les principaux

opposants au protocole. Aux antipodes, un groupe de pays africains

plaide pour l’adoption d’un régime fort et rétroactif pour rembourser la

dette historique liée à l’exploitation des ressources durant la

colonisation. Regroupés au sein du G77, les pays du Sud réclament

davantage de financements en faveur de la biodiversité : une

multiplication par 10 selon la base actuelle des négociations. Le

montant actuel de ces aides n’est toutefois pas bien connu. « Pour la

France , elles ont été estimées à 2 % du montant total de l’aide pour le

développement, soit environ 5,2 millions d’euros par an », précise Marc

Fagot, de la Direction des affaires européennes et internationales au

Meeddm.

 

La portée du futur régime est également débattue. Le G77 défend

l’inclusion des ressources issues de la haute mer et de l’Antarctique,

l’UE étant opposée à cette dernière option. Concernant les pathogènes

(les virus notamment), l’UE défend leur inclusion mais souhaite qu’un

accès immédiat aux ressources génétiques soit garanti en cas de

situation d’urgence (type pandémie), tout en restant ouverte pour

discuter en aval d’un partage des avantages.

 

« L’Union européenne, et derrière la France , seront en première ligne

face aux demandes des pays du Sud, notamment en raison de l’absence des

Etats-Unis à la table des négociations », avertit Judith Jiguet. Or la

France occupe une place singulière en Europe, à la fois fournisseur (en

raison de son large domaine maritime et de ses territoires d’outre-Mer)

et utilisateur de ressources. Elle reçoit ainsi une dizaine de demandes

de bioprospection chaque année, traitées au cas pas cas. Des

législations de type APA existent depuis quelques années, en Guyane au

sein du parc national amazonien, et dans la province sud de Nouvelle

Calédonie mais avec des difficultés de mise en œuvre.

 

Concernant la rétroactivité, l’un des points durs de la négociation, la

France accepterait une solution de compromis visant à prendre en compte

la période « grise », de 1993 - date de l’entrée en vigueur de la CDB -

à 2001. Les financements correspondants pourraient alimenter un Fonds

mondial pour le partage des avantages abondé par les Etats et le secteur

privé. La demande de création de cet outil a été soumise, fin septembre,

par les pays africains, et la France soutient cette proposition. « Nous

avons besoin de financements innovants et de mobiliser le secteur privé

», explique Marc Fagot. La secrétaire d’Etat à l’écologie, Chantal

Jouanno, fera part de cette proposition à ces homologues européens, lors

du Conseil Environnement, jeudi 14 octobre.

 

La question des droits des communautés autochtones et locales, ainsi que

la divulgation de l’origine des ressources dans les brevets, sont deux

autres points d’achoppement importants, l’Organisation mondiale du

commerce (OMC) s’opposant à une remise en cause des droits de la

propriété intellectuelle.

 

Des consensus ont en revanche émergé entre l’UE et le G77. Les produits

manufacturés (médicaments, shampoings) pourraient ainsi être exclus du

champ du protocole, qui continuerait à s’appliquer aux extraits naturels

de plantes. Les porteurs de projets de recherche non commerciale

devraient en outre bénéficier d’un accès facilité aux ressources.

 

Une session de négociation pré-Nagoya se tiendra du 13 au 15 octobre,

suivie d’une session plus formelle samedi 16 octobre, une date-clé pour

la finalisation du protocole. Globalement, la délégation française se

veut optimiste sur l’aboutissement du texte, même si sa rédaction reste

assez ouverte. « Chantal Jouanno a reçu des signes positifs lors de ses

rencontres bilatérales, avec le Canada notamment », précise sa

directrice de cabinet.

Références complètes

www.journaldelenvironnement.net/article/nagoya-la-france-se-veut-optimiste,19539