DROITS COLLECTIFS, CONTROLE PRIVE ET DOMAINE PUBLIC

Atelier du forum Planète Diversité, mai 2008, Bonn

Guy Kastler,

Résumé

Les Droits de Propriété Intellectuel (DPI) sur le vivant ne contribuent pas à la conservation de la biodiversité. Le brevet sur le gène et le Certificat d’Obtention Végétal (COV) sont au contraire des armes de destructions massives de tout ce qui vit. L’industrie contraint les plantes et les animaux à se reproduire à l’identique des clones morts-vivants sur lesquels elle a déposé ses droits de propriété et interdit toute forme de vie différente. De tout temps, la vie s’est reproduite en se différenciant : c’est ainsi que la biodiversité est née et augmente à chaque génération. De tout temps, les paysans l’ont renouvelée en sélectionnant et en conservant la diversité et la variabilité des plantes et des animaux qui répondent le mieux à leurs besoins. Ils en ont fait un bien commun, ancré domaine public. Ils doivent aujourd’hui imposer leurs droits collectifs d’usage de la biodiversité pour empêcher sa destruction par les droits privés de propriété intellectuelle.

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Texte complet

L’OMC impose à chaque état la reconnaissance du brevet sur les variétés de plantes ou d’un autre système « sui généris » de DPI. Le COV est souvent présenté comme la seule alternative soutenable face au brevet. Pourtant, et contrairement au brevet, le COV peut être déposé sur une variété découverte dans les champs des paysans et pas uniquement sur une invention issue de création variétale, sans aucune obligation d’indication de l’origine des variétés ni des méthodes de sélection utilisées. Cette légalisation du biopiratage rend illusoire le « partage des avantages » et la « souveraineté nationale sur les ressources phytogénétiques » qui, avec la CDB1, ont tenté de mettre fin au pillage du « patrimoine commun de l’humanité ». Elle a été à l’origine acceptée en contre-partie de l’autorisation accordée à l’agriculteur de multiplier librement la variété protégée pour ses propres cultures. Tout comme le « privilège de l’obtenteur » qui peut l’utiliser librement pour la sélection d’autres variétés, ce « privilège du fermier » avait pour origine l’impossibilité pour l’obtenteur d’apporter la preuve que c’est sa variété et non une autre qui était reproduite dans le champ d’un paysan ou utilisée par un de ses concurrents. Le COV s’appuyait en effet, tout comme le catalogue commun, sur la Distinction de l’Homogénéité et de la Stabilité (DHS) de caractères morphologiques qui dérivent dans le champ du paysan ou se modifient en cas de croisement. La DHS a été l’outil juridique qui a fait disparaître toutes les variétés paysannes locales en interdisant tout échange de leurs semences au prétexte qu’elles sont trop diversifiées et variables pour être inscrites au catalogue. Elle leur interdit aussi l’accès au COV pour se protéger du biopiratage. C’est pourquoi l’industrie semencière l’a conservée jusqu’à aujourd’hui dans de nombreux pays.

Avec les transgènes facilement identifiables par caractérisation génétique, le détenteur d’un brevet dispose d’une traçabilité parfaite de sa propriété intellectuelle dans les champs des paysans et les filières. Il peut ainsi exiger des royalties ou interdire les semences de ferme. Pour donner le même avantage au COV, les accords de l’UPOV2 de 1991 ont étendu la protection du COV aux « variétés essentiellement dérivées » et défini la variété par « les caractères résultant du génotype », ce qui permet de faire de la semence de ferme une contre façon en autorisant l’obtenteur à tracer sa propriété par sa caractérisation génétique. L’Europe a ratifié ce système et autorise aussi les brevet sur les gènes (et leur fonction) présents dans la variété à l’issue d’une invention. Comme il n’indique pas les méthodes de sélection utilisées, le COV autorise la vente de variétés portant des gènes brevetés issues de biotechnologies autres que la transgénèse (fusions cellulaires, plantes mutées, nano…), sans aucune information du paysan ni du consommateur qui n’en veulent pas. C’est ainsi que ces nouveaux « OGM clandestins » sont déjà dans nos champs et nos assiettes. Les accords bilatéraux ou régionaux, qui se substituent aujourd’hui partout sur la planète à l’échec de l’OMC, imposent tous cette triple protection du catalogue, de l’UPOV 91 et du brevet.

 

L’objectif de l’atelier sera de réfléchir aux autres systèmes « sui généris » que la société civile doit opposer à cette confiscation totale du vivant. Le TIRPAA (traité de la FAO sur les ressourcesphytogénétique) reconnaît les « droits des agriculteurs de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences reproduites à la ferme »}}, sous réserve des législations nationales. Cette réserve permet aux états d’encadrer ces droits des agriculteurs, en aucun cas de les interdire totalement, ce que font pourtant la plupart d’entre eux avec les DPI et le catalogue obligatoire. L’atelier devra définir une stratégie pour obtenir leur reconnaissance effective en s’appuyant sur les ouvertures juridiques existantes surtout dans certains pays du Sud.

Pour reproduire leurs semences à la ferme, les agriculteurs doivent avoir accès aux variétés reproductibles du domaine public, aujourd’hui pour la plupart interdites et enfermées dans les banques de gènes. Pour être reproductible, une variété doit en effet être issue d’une méthode de sélection à la portée l’utilisateur final qu’est l’agriculteur, ce qui n’est pas le cas des hybrides ni des clones issues des technologies modernes de manipulation cellulaires seuls aujourd’hui présents dans les catalogues et sur le marché. En dehors des régions où les agricultures vivrières permettent encore la reproduction de semences paysannes, l’accès aux ressources qui ont été enfermées dans les banques devient le premier problème à résoudre. L’atelier devra déterminer une stratégie pour s’opposer à la privatisation des collections par le cartel des firmes qui s’est approprié la totalité des semences enfermées dans la banque de l’apocalypse de Spielberg en Norvège.

Pour pérenniser leur indispensable contribution à la conservation de la biodiversité, les paysans doivent pouvoir protéger les variétés qu’ils renouvellent contre le biopiratage et les contaminations génétiques. L’atelier devra aussi réfléchir aux moyens à mettre en place pour défendre les variétés régionales, s’opposer à l’appropriation des semences paysannes par l’industrie et aux contaminations généralisée par les OGM, notamment des centres d’origine et des collections publiques encore existantes.

Vider les banques de gènes, les reconstruire sous responsabilité de la société civile, cultiver la biodiversité dans les champs et les jardins, échanger et diffuser les semences reproductibles dans le respect des droits des paysans qui les ont conservées et renouvelées, développer les maisons de la semences…autant d’actions concrètes à approfondir dans cet atelier.

Guy Kastler, Réseau Semences Paysannes, France, commission Biodiversité de Via Campesina